Par Yosr Belkhiria
Un mois de confinement déjà ! Mais un mois de travail intensif dans tous les secteurs vitaux dont celui de l’information. Les journalistes, mis à l’épreuve, sont depuis confrontés au devoir d’informer malgré les circonstances spéciales de cette période exceptionnelle.
Entre ceux qui considèrent le télétravail comme « une merveille » et d’autres qui souffrent du « manque de coordination et d’absence de méthodes claires de travail », le journalisme au temps du coronavirus est sans doute en train de faire émerger de nouvelles pratiques journalistiques.
Pour se déplacer, chaque journaliste doit être muni d’une autorisation de circulation « couvre feu », un ordre de mission, une autorisation de tournage (pour les médias audiovisuels) et sa carte de journaliste professionnel ou carte d’adhésion au Syndicat des journalistes (SNJT).
En effet, depuis le début de la crise le SNJT a appelé les médias et propriétaires de sociétés médiatiques à fournir les équipements de protection à leurs journalistes et les journalistes à respecter la déontologie journaliste dans le traitement des événements liés à la propagation du coronavirus. En plus de la série de communiqués, le SNJT a aussi publié un manuel depuis l’annonce du confinement.
Un Protocole de sécurité sanitaire pour les journalistes
Le 27 mars 2020, deux semaines après la déclaration du confinement général, le SNJT a publié, en arabe et en français, un Protocole de sécurité sanitaire pour tous les journalistes en service.
Le protocole regroupe des instructions qui s’appliquent aux journalistes, correspondants, caméramen, ainsi qu’aux personnels associés. Les instructions ont été réparties selon le lieu de présence du journaliste. Dans les locaux, une fois au bureau, sur le terrain, une fois sur le lieu d’affectation et au retour sur le lieu de travail ou au domicile.
Le document du protocole comporte notamment des tableaux de planification de la mission. Ces tableaux sont à remplir avant tout départ du journaliste pour une mission sur le terrain. Selon le syndicat, ils permettent au journaliste de mieux planifier sa mission pour assurer sa sécurité ainsi que celle de ses collègues.
Le télétravail : une merveille pour certains, une torture pour d’autres
« Il faut prendre les choses à la racine et dire que le « télé-travail » est un euphémisme étant donné qu’il faut entendre derrière ce mot, une technique de management, un outil de contrôle, une irradiation de la sphère privée (le chez soi) par le capitalisme mondialisé », disait Majdi, un journaliste tunisien travaillant depuis chez lui depuis le 13 mars. Majdi avait accepté de nous accorder son témoignage à l’Observatoire arabe du journalisme à travers une conversation Skype.
Placé confortablement derrière son ordinateur, Majdi estime que « à l’heure où certains vantent les mérites du télé-travail en tant que source de détresse, j’y perçois paradoxalement un instrument qui fait partie inhérente au processus d’individualisation de l’être humain. Le « télé travail » accentue la circulation des mots d’ordre liés aux taches et à la division du travail et du coup suspend tout sens critique et de distanciation (au sens de Bertolt Brecht) vis à vis du contenu dudit travail, lesquels (sens critique et distanciation) sont on ne peut plus nécessaires dans le domaine de l’information et de la communication ».
Le « télétravail » relève du langage de l’ideosphere dominante. C’est un terme qui fonctionne comme un comble de nature en temps de confinement, or il faut toujours se rappeler de l’étymologie du mot « travail » : dérivé du latin « tripalium » qui est un instrument de torture composé de trois barres de bois, a-t-il conclu un sourire à la bouche.
Pour Hanen, journaliste indépendante, rien ne remplace le travail de terrain! « Déjà avant le confinement, je travaillais partiellement à distance, étant journaliste indépendante, mais c’est vrai que j’étais libre dans mes déplacements. Avec le confinement, j’ai continué à faire la même chose, avec la différence que je ne pouvais plus sortir et aller voir mes sources directement, ni aller sur le terrain, ce qui me manque terriblement dans une telle crise où il est nécessaire d’expliquer ce qui se passe réellement, au delà des déclarations des politiciens et des spécialistes de la santé », raconte-t-elle.
Hanen essaye de combler ce besoin de déplacement en contactant diverses sources et en multipliant les entretiens avec les experts médicaux qui expliquent ce qui se passe que ce soit à propos du virus ou de l’effort pour le combattre.
« Il est vrai que les sources sont disponibles par téléphone ou par les autres applications de discussion, mais il aurait été possible d’avoir plus d’informations, en allant les voir sur place, là où ils travaillent, surtout pour le personnel médical. J’estime que le confinement a rendu mon travail plus facile certes, mais de moindre qualité », ajoute-t-elle.
Pour Dorra, journaliste et responsable dans une agence de presse publique, le télétravail permet une meilleure concentration et répartition des tâches à accomplir, tout en réduisant un probable stress de travail d’un groupe se trouvant dans une même salle de rédaction.
« En effet grâce aux réseaux sociaux, dont essentiellement Messenger, l’équipe de travail peut échanger les informations, discuter des sujets à aborder et à couvrir et même proposer de nouvelles idées. Ainsi les tâches sont bien réparties et le travail demandé est réalisé et envoyé pour validation », explique-t-elle.
Dorra estime que travailler à distance, peut également inspirer le journaliste, se trouvant chez lui dans son environnement habituel, pour aborder et traiter de nouveaux sujets, effectuer des entretiens, formuler un article et diffuser ainsi une information instantanée. « Travailler à distance c'est une merveille, mais qui dépend d'une bonne connexion internet », conclut-elle en souriant.
Wided, travaillant dans la même agence, ne partage pas le même avis que Dorra. Pour elle, le confinement a compliqué sa tache en tant que journaliste. « Je ne me sens plus en sécurité, faute de moyens et d’outils de protection sur les lieux de travail, mais aussi faute d’organisation », a-t-elle regretté. Wided a estimé que même dans les lieux sensés donner l’exemple de la sécurité, comme le ministère de la santé au moments des points de presse quotidiens organisés pendant la première période du confinement, on ne trouve point les moindres mesures de protection des journalistes. « Exercer au temps du coronavirus est une de mes pires expériences », a-t-elle regretté.
Imen, journaliste travaillant à distance, partage, quant à elle, le même avis que Wided. Pour elle, qui n’a pas eu à se déplacer pendant le confinement, le télétravail n’a fait que consacrer davantage les inégalités professionnelles. « En l’absence de moyens technologiques assez développés qui permettent de gérer à distance le travail, certains journalistes on baissé le rythme de travail sous prétexte d’incapacité et d’inaptitude à travailler à distance. Selon elle, « l’absence de compétences et le manque de savoir-faire pour manipuler de nouveaux outils de communication digitale ont mis à rude épreuve plusieurs journalistes de l’ « ancienne école » qui voient leur compétence disqualifiée.